Une nouvelle ère
De prison en prison
Dans les profondeurs de leur geôle, le temps s’était dissous. Les murs de pierre suintaient d’humidité, et la musique classique qui emplissait autrefois les couloirs avait cessé. Désormais, il ne restait que le silence, lourd et oppressant, entrecoupé du clapotis d’une goutte d’eau qui tombait inlassablement du plafond.
Estyn venait régulièrement, silhouette déformée par ses cicatrices, avec ce regard brûlant qui cherchait à briser leurs âmes. Mais malgré les douleurs infligées, malgré les privations, ni Spike, ni Pashtarot, ni Grabu ne cédèrent. Spike perdit son œil gauche, remplacé par une orbite en sang et en bandages souillés. Pashtarot eut les côtes fracassées sous les coups d’un bâton ferré. Quant à Grabu, il subit le supplice d’une scie qui trancha lentement son bras gauche, l’odeur de chair brûlée et de sang emplissant la cellule.
Mais au cœur de la souffrance, dans un élan désespéré, Grabu trouva sa revanche. Grace à son bras sectionné et libéré de ses entraves, il agrippa Estyn et de rage, planta ses dents dans sa gorge. Le craquement de la jugulaire arrachée résonna dans la pièce, accompagné du gargouillis étouffé de son sang. Estyn s’effondra, convulsant, et expira dans un silence brutal.
Son corps resta là, sans que personne ne s’en aperçoive immédiatement. Ce ne fut que plusieurs jours plus tard, lorsqu’un Thog ouvrier passa dans le couloir, que la mort fut découverte. Alors, ce fut Elena qui entra, à la tête d’une délégation armée. Son visage, marqué d’une froideur professionnelle, n’affichait ni colère ni satisfaction. Presque à contrecœur, elle s’assura de renforcer leurs liens pour éviter tout nouvel éclat, puis fit soigner la plaie purulente de Grabu. Les tortures reprirent, plus mécaniques que jamais : les fouets claquaient dans l’air, arrachant des lambeaux de chair, mais Elena semblait n’y trouver aucune jouissance. Elle exécutait sa besogne avec la résignation d’un bourreau qui n’avait pas choisi son rôle.
Les jours, peut-être les semaines, s’égrainaient dans une confusion constante. Le temps avait perdu son sens. La faim les rongeait, mais c’était surtout la soif qui les torturait, desséchant leurs lèvres, brûlant leur gorge. Puis, un matin, des bruits d’armures et des voix gutturales les tirèrent de leur torpeur. Une délégation de sombres Adrulens entra dans la salle. Leurs armures noires luisaient d’éclats malsains, et leurs armes d’énergie vibraient d’une lueur sombre. Ils parlaient une langue inconnue, rugueuse et sifflante.
Sans un mot d’explication, ils libérèrent les prisonniers de leurs anciennes entraves pour mieux les enchaîner de nouveau, cette fois à leur propre compte. Escortés à travers les ruines, Spike, Grabu et Pashtarot découvrirent l’état de Paris. La ville n’était plus qu’un champ de bataille, jonché de cadavres mutilés, d’armes calcinées, et de bâtiments éventrés. L’air empestait la cendre et le sang séché.
Avant de quitter la cité, ils passèrent devant un sinistre spectacle : un immense piquet de bois dressé sur la place principale. Dessus étaient cloués les anciens maîtres de la pègre, leurs entrailles pendantes au vent. Parmi eux, Elena, livrée au même supplice qu’elle avait imposé à tant d’autres. Grabu, malgré ses plaies, sentit une joie sombre lui réchauffer le cœur : la roue avait tourné.
Ils furent emmenés jusqu’à un vaste hangar où s’entassaient d’autres prisonniers, tous nus, les yeux hagards. Là, ils apprirent l’impensable : des années s’étaient écoulées. Leur monde avait changé en leur absence, et ils n’étaient plus que des spectres d’un temps révolu.
Bientôt, on les poussa de force dans un container métallique. La porte se referma dans un grincement sinistre, les laissant dans une obscurité poisseuse. Le sol, boueux et insalubre, les faisait glisser les uns contre les autres, tandis que l’air vicié rendait chaque respiration pénible. Le voyage fut long, cahoté, interminable.
Quand enfin la porte s’ouvrit, un souffle d’air brûlant s’engouffra dans la boîte. Devant eux s’étendait un désert sec et aride, le ciel d’un bleu éclatant sans nuages. Au loin, une gigantesque excavation creusait le sol comme une plaie béante. Des silhouettes s’activaient dans cette fourmilière humaine, réduites à creuser, transporter, mourir au service de leurs nouveaux maîtres.
C’était leur nouveau foyer.
La Chute de Ro’shy
Ro’shy, prisonnier des errances du plan des esprits, se sentit bientôt accablé par l’opération mentale qui se déroulait en lui. Une présence obscure fouillait son esprit, incisant sa mémoire avec une précision chirurgicale. Mais la douleur devint insoutenable, le malaise trop grand. Dans un sursaut de volonté, il rejeta l’intrus hors de lui. L’esprit résista un instant, hurla de rage et, en un cri strident, appela à l’aide avant de s’évanouir dans les brumes mouvantes du plan.
Fuyant sans se retourner, Ro’shy erra dans ce monde spectral où le sol semblait tantôt brumeux, tantôt solide. C’est là qu’il croisa un autre esprit, étrange silhouette pâle, qui parlait en énigmes d’une prophétie. Il annonçait la venue d’un être d’un autre monde, une entité qu’il semblait vouer à une vénération absolue.
Guidé par cet adepte spectral, Ro’shy fut conduit dans un sanctuaire secret, une anfractuosité où vibrait une énergie obscure. Là, l’esprit lui proposa une alliance : rassembler une centaine d’autres âmes pour accomplir un rituel. Ces esprits se sacrifieraient, tous à l’unisson, afin d’offrir à Ro’shy une échappatoire vers un autre plan.
En attendant ce moment, Ro’shy chercha du secours auprès des dieux. Il appela tour à tour, mais ses prières se perdaient dans l’écho de l’éternité. Seul Voln répondit. Sa voix résonna comme un grondement lointain, et son image se projeta devant lui : un portail se traça dans l’air, une fissure lumineuse dans l’entropie.
Sans hésiter, Ro’shy s’y engouffra. Les ombres de l’entropie s’enroulèrent autour de lui, froides et oppressantes, tandis qu’il suivait la trace guidée par Voln. Lorsqu’il émergea, ce fut dans une grotte à l’allure mystique. L’air y était saturé d’encens et d’humidité, et les parois étaient couvertes de runes colorées qui pulsaient faiblement, comme des cicatrices lumineuses dans la pierre.
Au centre gisait Voln. Vieilli, nu, sa chair scarifiée par d’innombrables glyphes qui luisaient dans une danse maladive. Ses yeux, voilés par la folie, laissaient entrevoir par instants des éclairs de lucidité. Ro’shy posa sa main sur son bras marqué et ses pensées furent aspirées dans une vision : Voln, jeune et puissant, s’élançant dans le ciel, combattant Nehzul. Ce dernier maniait un marteau titanesque, d’où jaillissaient des arcs électriques rougeâtres et noirâtres, assez puissants pour marquer le ciel de cicatrices éternelles.
Mais la vision s’éteignit comme une flamme étouffée. Voln replongea dans son délire, marmonnant des mots incompréhensibles. Ro’shy, n’y voyant plus de réponses utiles, quitta la grotte.
Dehors, il fut frappé par un spectacle de désolation. Les cratères de l’ancienne ville de Paris s’étendaient devant lui, encore fumants, noyés sous les décombres. L’air sentait la suie et les cendres, et chaque pas sur le sol friable résonnait comme dans un cimetière sans fin.
En longeant un ravin, il aperçut un cortège : six esclaves enchaînés, escortés par quatre sombres Adrulens vêtus d’armures noirâtres. Leurs armes, étranges et inquiétantes, semblaient exhaler une énergie corruptrice. Deux restaient en retrait, fusils levés, tandis que les deux autres avançaient. L’un maniait un sabre laser noir, l’autre des chaînes vibrantes.
Ro’shy mit un genou à terre, feignant la reddition. Alors que les chaînes s’approchaient de lui, il bondit, plus vif qu’un serpent, et arracha l’arme des mains de l’Adrulen. Dans un éclair, il renversa ses adversaires et utilisa un corps comme bouclier humain. Mais à sa stupeur, les projectiles traversaient la chair comme si elle n’était que fumée. Une rafale perça sa couverture et un rayon incandescent lui troua le torse.
Grimaçant, Ro’shy fonça malgré la douleur. Son sabre décrivit des arcs mortels, et il abattit l’un des tireurs. L’autre rata ses tirs, surpris par l’audace du Salbek. Le combat qui s’ensuivit fut une danse mortelle. Chaque coup pouvait être fatal ; chaque parade, une survie de plus. L’air se remplissait de l’odeur d’ozone, les lames traçant des sillons rougeâtres dans l’obscurité. Ro’shy esquivait, parait, frappait avec la précision d’un prédateur acculé.
Mais la fatigue, la blessure, et la malchance scellèrent son sort. Dans un geste fulgurant, son ennemi trouva une ouverture. La pointe sombre transperça le crâne de Ro’shy.
Son corps s’effondra lourdement dans la poussière. Et dans ce silence tragique, il ne resta que l’écho des chaînes brisées et le parfum métallique du sang, emporté par le vent sur les ruines de Paris.
Le Gouffre des Esclaves
D’immenses murailles de pierre et de métal, hérissées de plaques rouillées et de grillages, cerclaient le périmètre. Ces remparts, couverts d’inscriptions étranges, semblaient plus faits pour contenir les épidémies que pour repousser une armée. En haut, des gardes Adrulens patrouillaient jour et nuit, armés de fusils à énergie noire dont la lueur sombre ponctuait la chaleur écrasante. Les portes, de simples grillages massifs, s’ouvraient et se refermaient manuellement, grinçant à chaque procession d’Adrulens qui entraient ou sortaient.
À l’intérieur, le chaos régnait. Les larges hangars insalubres, puants et surpeuplés, servaient de dortoirs improvisés. Hommes, femmes et enfants, nus ou vêtus de haillons crasseux, dormaient à même le sol de terre battue, collés les uns aux autres pour tromper le froid des nuits désertiques. La nourriture distribuée était une bouillie immonde, grise et grumeleuse, où surnageaient parfois quelques légumes pourris et des morceaux de viande dont personne ne préférait deviner l’origine. L’odeur écœurante de sueur, de sang séché et de nourriture avariée étouffait l’air.
Au centre du camp s’ouvrait un gouffre gigantesque. D’en bas montaient les bruits métalliques d’immenses machines automatiques, creusant sans répit les entrailles de la terre. Autour du trou, les galeries s’étendaient comme un labyrinthe vivant, creusées à la main par les esclaves qui s’y relayaient sans fin, leurs pioches résonnant comme le battement d’un cœur mécanique. Les seules armes visibles étaient ces outils rudimentaires, détournés parfois en instruments de vengeance dans l’ombre des tunnels.
Les Adrulens, rares à l’intérieur du camp, ne portaient aucune arme, mais leur présence suffisait à maintenir la terreur. Le vrai contrôle venait des contremaîtres : des esclaves eux-mêmes, reconnaissables à leur casque de chantier jaune. Ils n’avaient survécu que par la compromission, en se mettant aux ordres des geôliers. Leur pouvoir, fragile mais réel, reposait sur la peur et la délation. Certains dénonçaient leurs camarades pour un quignon de pain supplémentaire, mais les faux dénonciateurs finissaient souvent par être retrouvés dans les profondeurs, le corps défiguré par les coups de pioche de leurs anciens compagnons.
C’est dans ce chaos que Spike, Pashtarot et Grabu rencontrèrent Kael, un ancien fidèle de Ro’shy, brisé mais pas totalement résigné. Ensemble, ils passèrent des mois à observer, à comprendre les règles implicites du camp. Plus le temps avançait, plus l’évidence s’imposait : ils devaient fuir, ou ils finiraient engloutis par le gouffre.
Dans le fond d’une obscure galerie, ils attirèrent un contremaître isolé et l’égorgèrent. Grabu s’empara de son casque jaune et, contre toute attente, la supercherie fonctionna. Dès lors, il devint leur passeport pour agir avec une relative liberté. Peu à peu, ils rassemblèrent des partisans discrets, des esclaves déterminés à risquer leur vie pour une chance de liberté.
Le plan était simple dans sa folie : creuser un tunnel sous les murailles. Mais il fallut trois années entières d’efforts acharnés pour l’accomplir. Trois années à gratter la roche avec des outils de fortune, à évacuer la terre dans des sacs dissimulés, à survivre sous la faim, les coups et la peur d’être découverts. Spike, faisant preuve d’une ingéniosité terrifiante, improvisa des explosifs à partir de minéraux extraits dans les profondeurs. Les détonations secouaient parfois les galeries, provoquant éboulis et morts, mais jamais le projet ne s’arrêta.
Un jour, un éboulis manqua de tout ensevelir. Mais par miracle, ils parvinrent à s’en tirer, poussiéreux, le souffle court, galvanisés par leur rage de vivre. La nuit où le tunnel déboucha enfin de l’autre côté des murailles, le ciel était d’encre, percé d’étoiles. Ils rebouchèrent derrière eux la sortie, effaçant autant que possible leurs traces, et s’enfoncèrent dans le désert.
Au petit matin, éreintés mais ivres de liberté, ils atteignirent un oasis. L’eau pure scintillait, entourée de quelques palmiers frêles et d’arbustes aux fruits sucrés. Les évadés s’y jetèrent en riant, buvant à pleines gorgées, mangeant des baies et des racines comme un festin royal. Mais tous ne pouvaient pas se réjouir.
Grabu, affaibli par les années, tituba. Sa vue se troublait, des hallucinations dansaient devant ses yeux, ses dents tombaient une à une. Lors de la fuite, il avait perdu connaissance, et Pashtarot avait dû le porter sur ses épaules à travers le désert. À l’ombre des palmiers, Spike, Pashtarot et Kael se rassemblèrent autour de lui, inquiets. Tandis que les autres célébraient leur victoire, eux savaient qu’une autre lutte commençait : celle de sauver Grabu, dont le corps se brisait après des années de privations.
Le désert, silencieux et infini, les observait.
Par vents et marée
Pashtarot priait, agenouillé dans le sable encore tiède de la nuit. Ses lèvres murmurèrent des appels à toutes les puissances de l’univers, des dieux connus comme des forces oubliées, mais aucun ne répondit à sa supplique. Grabu gisait à ses côtés, inconscient, son souffle rauque ponctué de spasmes douloureux. Chaque minute qui passait semblait l’éloigner davantage de la vie.
Beaucoup de survivants, encore terrifiés par des années de captivité, choisirent de partir en petits groupes, dans toutes les directions, espérant trouver la liberté dans l’inconnu. Spike, lui, refusait de rester immobile. Avec une poigne ferme, il prit les choses en main. Seule une poignée d’âmes – une dizaine – décida de rester auprès de lui. Ensemble, ils s’attelèrent à bâtir de misérables cabanes à partir de buissons secs, d’herbes arrachées et de quelques branches tordues. Leurs abris sentaient la poussière et la sève, et leurs toits craquaient déjà sous le vent chaud du désert.
Spike fit un tour d’horizon, scrutant la plaine désolée. Le soleil cognait sans pitié, révélant une étendue d’ocre et de pierres fendues. Le seul danger qu’il identifia fut une meute de Mut-scorpions qui erraient non loin, leurs silhouettes massives se découpant contre la chaleur vibrante. Mieux valait les éviter. Pendant ce temps, Kael pria Ro’shy à voix basse, entre deux allers-retours pour aider aux constructions, espérant que leur dieu ne les avait pas totalement abandonnés.
Le calme fragile du camp fut brisé par le vrombissement aigu d’un drone. L’appareil fendit la canopée maigre et tournoya au-dessus d’eux, ses capteurs rougeâtres clignotant comme des yeux en chasse. Puis, il disparut dans le ciel brûlant. Les survivants se figèrent, le cœur battant, mais reprirent peu à peu leur labeur.
Quelques temps plus tard, un bruit bien plus lourd fendit l’air : le martèlement sourd des pales d’un hélicoptère. L’engin surgit de l’horizon et se posa dans un nuage de sable, ses turbines hurlant comme des bêtes mécaniques. Pris de panique, tous se jetèrent dans les buissons et les herbes hautes, retenant leur souffle.
Des sombres Adrulens jaillirent de l’appareil, armés et implacables. Méthodiquement, ils commencèrent à débusquer les fuyards. Les malheureux esclaves qui avaient choisi de rester furent traqués et abattus sans pitié, leurs cris étouffés par les rafales d’énergie noire. Pashtarot, tapi dans un fourré, sentit son cœur cogner dans sa poitrine. Un Adrulen passa si près que ses bottes effleurèrent presque ses genoux, mais il garda son sang-froid, immobile comme une ombre.
Spike, lui, avait choisi une autre voie. Il s’était glissé sous le sable, rampant lentement, jusqu’à contourner les Adrulens restés près de l’hélicoptère. Dans un éclair de brutalité, il surgit derrière eux, arracha le fusil des mains de l’un et ouvrit le feu. L’écho métallique de l’arme résonna sur les dunes, et les silhouettes sombres tombèrent l’une après l’autre. Par miracle, aucun tir d’énergie noire ne le toucha. Quand le silence retomba, il ne restait plus que Spike, Pashtarot, Grabu inconscient, Kael… et une Adrulen différente des autres. Une femme, sans l’aura oppressante de ses semblables, qui se présenta sous le nom d’Anna.
Ils jetèrent les cadavres dans une rivière proche, le courant les emportant lentement comme des carcasses inutiles. Les armes et les armures furent récupérées, un maigre trésor dans ce désert impitoyable.
Enfin, Grabu rouvrit les yeux. Son visage était pâle, ses traits tirés, et il gémit de douleur : un hématome violacé enflait à son bas-ventre, annonciateur d’une hémorragie interne. Le temps leur était compté. Décidés à fuir loin de ce camp maudit, ils s’emparèrent de l’hélicoptère. Les pales rugirent, et l’engin s’arracha du sol dans une tempête de sable.
Ils survolèrent des plaines arides durant des heures, le paysage se déroulant comme une mer de pierres et de poussière. Anna révélé qu’elle priait la déesse Mayila, c’est alors que Kael et elle discutèrent du remplacement de Mayila par Ro’shy. Grabu souffrait terriblement, chaque vibration de l’hélicoptère résonnant dans ses entrailles. À mesure que la batterie de l’appareil déclinait, sa respiration devint plus lourde. Enfin, ils durent atterrir près de la mer, dans les ruines blanchies d’un petit village côtier.
La nuit tomba, apportant une brise salée. Spike, le visage fermé, improvisa une opération de fortune. Avec des herbes médicinales ramassées à l’oasis et une ferraille chauffée au rouge, il ouvrit la plaie et appliqua un onguent antibiotique. L’odeur de chair brûlée se mêla à celle de l’iode et des cendres, arrachant un cri guttural à Grabu avant qu’il ne retombe dans un sommeil fiévreux.
Au matin, l’air marin fouettait leurs visages. Ils explorèrent la côte, fouillant les carcasses de maisons effondrées et les débris échoués. Ils emportèrent des voiles, des cordes et quelques vivres séchés et avec leur butin, prirent possession d’embarcations dans la baie : un vieux voilier rafistolé, relié à un large speedboat à moteur. Ainsi, ils pourraient alterner entre la voile et le moteur, économiser du carburant, et continuer leur fuite sur les eaux incertaines.
La mer, vaste et insondable, s’étendait devant eux comme une promesse fragile de liberté.
Cap sur l’inconnu
Après avoir embarqué vivres et matériel, le groupe se lança sur les flots. Le vent était doux, gonflant les voiles avec régularité, et les vagues caressaient la coque en un rythme apaisant. Chacun, malgré une expérience limitée, se mouvait sur le pont avec une aisance presque instinctive. Le sel accrochait aux cheveux, l’odeur de l’iode emplissait les narines, et la mer s’étendait à perte de vue, comme une promesse infinie.
Kael, décidé à se rendre utile, s’acharnait à apprendre l’art de la pêche. Il lançait et relevait son filet encore et encore, la sueur brillant sur son front, ses mains râpées par les cordes. Spike, plus méthodique, délavait les pages jaunies d’un vieux magazine trouvé dans leurs fouilles. À force de patience, il parvenait à blanchir les feuilles pour y recopier la carte du monde qu’il avait découverte, son écriture appliquée gravant de nouveaux repères pour leur survie. Grabu, encore faible de ses blessures, passait ses journées à se reposer, profitant du roulis du bateau pour se laisser bercer entre sommeil fiévreux et conscience trouble. Pashtarot, lui, s’entraînait sans relâche, répétant ses gestes avec une précision martiale, comme pour exorciser l’impuissance des mois passés en captivité.
Anna, l’Adrulen différente, allait de l’un à l’autre. Ses paroles étaient mesurées, parfois légères, parfois plus graves, comme si elle cherchait à sonder chacun de leurs cœurs. Elle écoutait, questionnait, et peu à peu sa présence trouva sa place au sein du groupe, ni tout à fait alliée, ni tout à fait étrangère.
Le temps resta clément. Le soleil, haut dans le ciel, éclaboussait l’eau d’éclats argentés. Des heures passèrent dans une monotonie presque agréable, jusqu’à ce qu’une silhouette trouble l’horizon. Une île se dessina, ceinte de pontons branlants qui semblaient attendre des voyageurs depuis des décennies.
Ils accostèrent et explorèrent les cabanes désertées, envahies par le sable et l’humidité. Les bateaux en bois échoués sur la plage n’étaient plus que des carcasses, rongées par le sel et le temps. Dans l’une des huttes, Grabu dénicha des médicaments précieusement emballés, dont des antibiotiques qu’il avala avec empressement, espérant apaiser les douleurs de son corps affaibli. Plus loin, Spike et Pashtarot tombèrent sur un objet autrement plus dangereux : un Atomi-boom, soigneusement entreposé, accompagné de trois missiles encore fonctionnels. Leur découverte glaça un instant l’air autour d’eux.
Kael, lui, avait déjà improvisé un petit barbecue. L’odeur de cassoulet grillé commençait à se mêler à celle du bois brûlé, mais le répit fut bref. Ils rembarquèrent précipitamment, abandonnant derrière eux le feu encore rougeoyant. L’île retourna à son silence, comme si leur passage n’avait été qu’une parenthèse.
La nuit tomba, enveloppant la mer d’un manteau obscur. L’ancre fut jetée, et des tours de garde organisés. Tout semblait calme, jusqu’au moment où, durant la surveillance de Kael et Grabu, les radars s’éteignirent d’un seul coup. Plus un bip, plus un signal. Ils réveillèrent l’équipage en panique, mais malgré toutes leurs vérifications, rien ne pouvait expliquer la panne : les circuits eux-mêmes semblaient grillés.
Lors du second tour, Pashtarot et Spike restèrent sur le qui-vive. C’est alors que Spike distingua, sous la lueur de la lune, une ombre immense glissant sous la surface. Une forme titanesque, plus large que leur bateau, qui se mouvait dans les profondeurs. Son souffle se coupa net. Quelques minutes plus tard, le bateau fut brusquement tiré vers l’avant. L’ancre semblait avoir accroché un monstre colossal. L’eau bouillonna, puis un rugissement sourd monta des abysses.
Spike ouvrit le feu, les lasers d’énergie noire transperçant l’écaille monstrueuse qui émergeait lentement. La bête souleva l’ancre, et dans un mouvement effroyable, propulsa le bateau hors de l’eau. Un instant suspendu, le navire tangua dans les airs. Spike, libéra la sécurité de l’ancre. Dans un fracas assourdissant, le bateau s’écrasa à la surface, miraculeusement du bon côté et sans dommages majeurs.
Kael et Anna écopèrent frénétiquement l’eau qui s’engouffrait par les interstices, les bras douloureux, les vêtements trempés. Spike et Grabu scrutèrent la mer, mais l’ombre gigantesque avait disparu, engloutie dans ses abysses insondables.
Ils reprirent leur route, les nerfs à vif, glissant dans la nuit sur des eaux devenues menaçantes. Les jours suivants, la fatigue s’installa. Le soleil éreinta les corps, le sel rongeait la peau, et chacun sombrait à tour de rôle dans des sommeils courts et agités. Pour tromper l’ennui, certains reprenaient leurs occupations : Kael lançait son filet, Spike noircissait sa carte de notes, Pashtarot martelait ses gestes d’entraînement, tandis que Grabu essayait de soigner son corps toujours fragile.
La mer, immense et indifférente, étirait ses journées en une lente épreuve de patience.